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  • Ciska Girault

Mon chien est-il « toqué » ?

Comme d’habitude, commençons par se demander ce que veut dire « toqué ».


D’après le Larousse :

« Se dit de quelqu'un qui est bizarre, un peu fou. »

Bon, à vrai dire, ça ne nous aide pas beaucoup, c’est plus un jugement de valeur… En général, l’idée qui se cache derrière la question « mon chien est-il toqué ? » c’est plus exactement « mon chien est-t-il atteint de TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs) ? Est-il normal ?».


Alors, qu’est ce qu’un TOC ?

« Le trouble obsessionnel compulsif (TOC) est une maladie caractérisée par la présence d’idées obsédantes et de comportements compulsifs récurrents, ayant un impact négatif et parfois dévastateur sur le fonctionnement familial, social et professionnel de la personne atteinte. » 1

A vrai dire, on ne peut pas parler de TOC chez un animal, car on n’a aucune façon de savoir s’ils ont des idées obsédantes… On ne peut qu’observer des comportements.

On parle donc plutôt de comportements répétitifs ou de stéréotypies. Et encore, je vous fais la version courte, parce qu’il existe de grandes discussions sur ces définitions et leur classement.


On définit habituellement une stéréotypie comme un comportement :

« répétitif, invariant et qui n’a aucun but ou fonction apparents »

(Note : le « but ou fonction apparent » se réfère bien entendu à l’intérêt direct pour l’individu ou son espèce, pas à celui de l’humain !)


Souvent on a la notion de comportement « anormal » et on a envie de le définir comme ça. Mais… En réalité c’est très difficile de définir un comportement normal d'un comportement anormal. Je ne vais pas développer ici, c’est un sujet qui pourrait remplir plusieurs articles à lui tout seul. A ma connaissance, personne n’a vraiment réussi à définir cela, et c’est pourquoi on utilise plutôt la définition précédente.


Par exemple, prenons un Border Collie qui tourne en rond autour d’un chat ou d’une brebis. Cela semble quand même plutôt anormal (et en plus, ça répond plutôt bien à la définition de répétitif, invariant et sans but apparent)… Mais certains dirons que c’est normal pour un Border Collie, étant donné qu’ils ont justement été sélectionné pour cela !

Qui a raison ?

Je ne sais pas, et je pense qu’on ne peut pas répondre à cette question par oui ou par non.



TOC stéréotypie comportement chien


Une histoire de génétique ?

Tout comme on peut sélectionner des traits physiques tels que le nez écrasé du bouledogue et les pattes courtes du teckel, on peut sélectionner des traits comportementaux (réagir rapidement à un mouvement, se focaliser sur une piste de gibier, ne pas tolérer la présence d’inconnus sur son domaine vital…).

Peut-on dire que le fait de ne pas pouvoir respirer correctement ou de souffrir de hernies discales est normal ? Non ! Et pourtant c’est bien (involontairement) ce que l’on a sélectionné avec le nez écrasé du bouledogue et les pattes courtes du teckel.

De la même façon, lorsqu’on sélectionne un trait comportemental, on peut sélectionner un hypertype comportemental ET les conséquences involontaires qui vont avec.

Un chien peut souffrir de son hypertype comportemental, et je pense qu’on ne devrait pas considérer que c’est toujours « normal pour X race », de la même façon qu’on ne doit pas considérer que c’est « normal pour un bouledogue » de lutter toute sa vie pour respirer convenablement.

Donc, tout cela pour dire que selon les individus (leur génétique et donc leur race, notamment), on peut avoir des prédispositions propres à chacun. Ils sont nés comme ça, c’est tout.

On a donc des chiens plus prédisposés que d’autres à développer des soucis de stéréotypies… Mais c’est seulement une prédisposition pas une fatalité.

Un autre point très important, c’est l’environnement.

Prenez n’importe quel grand félin absolument « normal », mettez-le en cage, il va faire les cents pas (= stéréotypie).

Ici, ce qui va déclencher la stéréotypie, c’est l’environnement inadapté, qui ne permet pas à l’animal d’exprimer correctement ses besoins naturels. Les mécanismes cérébraux en cause sont passionnants, mais trop long à expliquer ici malheureusement...


C’est évidemment un point très étudié chez les animaux sauvages en captivité, mais beaucoup plus ignoré chez nos chers animaux de compagnie !

Un cheval qui tic à l’ours, à l’appui, qui tourne dans son box ; un chien qui fait les cents pas, qui aboie, tourne après sa queue, qui se ronge les pattes ; un chat qui se lèche à l’excès ; un hamster qui fait des sauts périlleux dans sa cage…

Tout cela fait partie de stéréotypies qui ont probablement pour cause un environnement inadapté. Les causes connues pour provoquer des stéréotypies sont le confinement (ce printemps, on a pu tester ce que vivent nos animaux en captivité...), le stress (douleur, peur, maladie, alimentation inadaptée…), l’impossibilité de produire des comportement normaux de l’espèce.


La présence de stéréotypies dans ces conditions est souvent révélatrice de mal-être. C’est un comportement qui doit retenir notre attention et nous amener à nous poser des questions, mais attention à ne pas faire de raccourcis ! Un animal qui fait des stéréotypies n’est pas forcément malheureux, et ce n’est pas forcément dû à son environnement actuel, et ce n’est pas la stéréotypie elle-même qui rend l’animal malheureux. Ces raccourcis sont faux et source de problèmes.


Dans l’environnement il faut aussi penser à l’environnement au cours du développement, c’est-à-dire des premiers mois de vie. A cet âge-là, tout plein de « câblage » se fait dans le cerveau, basés sur les stimulations de l’environnement. Si ces stimulations sont inadaptées, le « câblage » n’est pas réalisé tout à fait correctement et il peut être source de stéréotypies qui peuvent persister des mois ou des années plus tard.


Que faut-il retenir de ce passage ?

Si votre animal fait des comportements répétitifs pouvant s’apparenter à des stéréotypies, alors demandez-vous sérieusement si le mode de vie que vous lui offrez lui convient réellement.


Et de cette manière, si on reprend l’exemple de notre Border Collie, on comprend pourquoi certains ne jurent que par le travail et le troupeau. En effet, il est fort probable qu’un Border Collie ait un environnement plus adapté à ses besoins s’il travaille au troupeau que s’il s’ennuie seul dans un jardin, et que donc le premier ne développe jamais de stéréotypies alors que le second, oui.

L'environnement sera dans ici un facteur qui va révéler (ou non) une prédisposition (plus ou moins anormale...)

Cependant, et pour finir, il existe aussi d'autres facteurs importants.


Un trouble neurologique?

Il existe des phénomènes totalement pathologiques qui peuvent aboutir à des stéréotypies, sans que l’environnement soit en cause.


Il existe par exemple des lignées de Bull Terrier et de Berger Allemands qui tournent après leur queue, des Cavaliers King Charles qui gobent des mouches imaginaires ou des Doberman qui sucent leur flanc. Dans certains de ces cas, même avec l’environnement le plus adapté du monde, ces chiens développent quand même des stéréotypies très envahissantes (jusqu'à plusieurs dizaines d'heures par jour!).

Si on étudie de plus près ces chiens, on s’aperçoit qu’il y a des similitudes avec l’épilepsie, et des comorbidités avec d’autres troubles neurologiques.


Et là je reviens au début de mon article, avec mon exemple de Border Collie prédisposé… On a sélectionné un « câblage » intéressant pour le troupeau, et indirectement une prédisposition à certaines stéréotypies. Les Border Collies sont aussi prédisposés à des troubles neurologiques comme l’épilepsie, et l’épilepsie à de fortes similitudes avec certaines stéréotypies dont on sait que l’origine est congénitale et héréditaire… Vous voyez où je veux en venir ? Tout est lié. On ne peut pas complètement séparer le facteur de prédisposition « non pathologique » et l’apparition de stéréotypies totalement pathologiques avec d’autres problèmes neurologiques. On ne peut pas séparer les facteurs congénitaux et environnementaux… Il faut considérer le tout.

J’espère que vous comprenez mieux pourquoi je considère qu’on ne peut pas répondre « oui » ou « non » à la question « Est ce que mon chien est toqué/anormal ? ».

Je pense que la vraie question à se poser est : « Est-ce problématique ? »


Est-ce que le temps passé à effectuer ces stéréotypies est élevé ? Ces comportements se font-ils au détriment d’autres comportements (manger, dormir, explorer, se toiletter, interagir avec ses congénères et ses humains…) ? Est-ce qu’il y a une grande variété de comportement ou au contraire est-ce pauvre ? Est-il capable difficile de le faire décrocher de cette activité pour en faire une autre ?

Si vous répondez oui une de ces questions, alors à mon sens, c’est qu’il y a une répercussion sur le bien-être de votre chien, et il est nécessaire d’y remédier.

Voici les points qui doivent absolument retenir votre attention et vous emmener à consulter un vétérinaire comportementaliste et/ou neurologue :

- Le chien passe plusieurs heures par jour à faire ce comportement

- Le comportement est très invariant (toujours exactement le même)

- Le chien fait d’autres comportements « bizarres » (hallucinations, agressivité non expliquée, mouvements anormaux…)

- Le chien se blesse lui-même

- Le chien ne s’arrête pas de lui-même, ou difficilement

- Le chien ne s'intéresse pas à son environnement, les humains ou les chiens présents.

Je vous donne l'exemple de mon propre chien: il tourne autour de mon chat. C'est assez répétitif: toujours dans le même sens, mais il peut quand même varier de temps en temps. Cela dure quelques minutes, il s'arrête facilement de lui même, il décroche facilement si on lui propose une autre activité, c'est négligeable dans son budget-temps (= "emploi du temps" en quelques sorte). Ça répond bien à la définition de stéréotypie, et compte tenu de son bagage génétique, c'est plus ou moins attendu (mais je me garderais bien de le juger "normal" ou "anormal" !), mais il n'y a aucun autre critère de gravité. Donc pas d'inquiétude à l'heure actuelle. C'est un comportement à surveiller et à ne pas favoriser.


Quelles stéréotypies chez le chien?

Tout comportement qui répond à la définition et ce que j'ai expliqué ci-dessus... Mais classiquement:

- Tourner après sa queue (spinning)

- Faire les cents pas devant le grillage, tourner autour d'un objet, ou n'importe quel trajet répétitif, qui creuse classiquement un "sentier" (pacing)

- Se lécher les pattes

- Sucer le flanc (Doberman)

- Gober des mouches invisibles (Cavalier King Charles)

- Poursuivre et chasser les ombres ou les lumières

- Et attention à certains jeux ! Certains chiens, lorsqu'ils semblent jouer, son en réalité prisonniers de leur stéréotypie: rapporter inlassablement une balle, fixer le jouet du regard, mâchonner inlassablement le jouet... Pour différencier cela d'un jeu sain, relisez la liste des points d'attention !


Quelles sont les solutions aux stéréotypies ?

- A l’échelle de l’espèce ou de la race: une sélection réfléchie.

- A l’échelle de l’individu :

o Offrir des bonnes conditions de développement durant les premiers mois de vie

o Offrir un environnement adapté tout au long de la vie : l’enrichissement environnemental est une pratique qui vise à améliorer ces points

o Médicaliser dans certains cas

La prévention est infiniment plus efficace que le « traitement » !

Chez les chiens qui sont prédisposés, il faut se souvenir qu’il sera très facile de créer la stéréotypie, et beaucoup plus difficile de la supprimer. Réfléchissez donc à deux fois avant de lancer votre balle à répétition parce que « il aime ça » ou de favoriser tout comportement répétitif et addictif.

Chez ces chiens (mais aussi chez tous les autres !!) il sera important de garder une bonne « hygiène de vie ». C’est-à-dire une bonne relation avec votre chien, l’absence de stress inutile, lui donner de l’exercice physique, des interactions avec des congénères et respecter tous ses besoins de base… L’amour ne suffit pas !

1. Dos Santos, J. F. A., & Mallet, L. (2013). Le trouble obsessionnel compulsif. médecine/sciences, 29(12), 1111-1116.

2. Mason, G. J. (1991). Stereotypies: a critical review. Animal behaviour, 41(6), 1015-1037.

3. Lawrence, A. B., & Terlouw, E. C. (1993). A review of behavioral factors involved in the development and continued performance of stereotypic behaviors in pigs. Journal of animal science, 71(10), 2815-2825.

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